Sebastian Wloch, l’autodidacte


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Sebastian Wloch, l'autodidacte

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 09/05/2016 PAR Romain Béteille

Il est des technologies qui intriguent, soit parce qu’elles ne présentent pas un intérêt pour tous, soit parce qu’elles arrivent un peu trop en avance. Le jeu vidéo est une industrie qui pèse 99,6 millards de dollars en 2016. Longtemps vu comme le parent pauvre du loisir, il a été stigmatisé médiatiquement depuis ses débuts pour sa propension à la violence visuelle, son potentiel d’addiction et ses représentations parfois un peu datées. Aujourd’hui, c’est une culture à part entière. Le grand public connaît les produits, mais rarement les faiseurs. Ces centaines de studios, partout à travers le monde, qui inventent en permanence et participent tous à une certaine course à la technologie. En France, on compte les studios connus sur les doigts de la main, et les figures de l’industrie encore plus. A Bordeaux, les représentants du secteur sont encore plus rares. Mais il en est un qui, ces dernières semaines, a su s’engouffrer dans la brèche. 

Un patron discret

L’entreprise Microsoft compte aller un peu plus loin que les autres dans la réalité virtuelle : avec le casque Hololens, elle compte intégrer l’interactivité du jeu vidéo dans l’espace réel du joueur. Si la machine est déjà disponible en Amérique du Nord pour la modique somme de 3000 dollars, elle est encore très loin d’une commercialisation européenne à grande échelle. Le studio bordelais Asobo est l’un des seuls au Monde à posséder actuellement la technologie permettant de faire des jeux à partir de ce casque d’un nouveau genre. Ces dernières semaines, il a annoncé en grande pompe l’arrivée de deux jeux développés spécialement pour cette technologie. Fondé en 2002 par 12 co-dirigeants, il compte à son actif 17 jeux aux gloires diverses, l’un des plus célèbres étant le jeu de course « Fuel ».

Situé à deux pas des Chartrons, Asobo offre au nouveau venu dans ses locaux une vitrine, une salle de conférence où des images du studio défilent sur l’écran et où des cadres trônant aux murs affichent quelques réussites majeures à l’entrée. C’est dans cette salle de conférence que nous reçoit Sebastian Wloch, 42 ans. Barbe naissante, chevelure naviguant entre le brun et le gris, il a les petites cernes d’un travailleur acharné et le jogging Salomon d’un coureur de marathon. Il est l’une des 12 têtes de l’hydre Asobo, et pas forcément la plus extravertie. Un brin timide, ce passionné de jeu vidéo n’a pourtant pas à rougir. On sent bien qu’il n’est ni habitué à l’exercice, ni le genre de personne à discuter des heures de ce qu’il fait. 

Des débuts précoces

Première chose qui frappe quand il détaille son parcours : Sebastian Wloch est un autodidacte. Précoce, diront certains. « J’ai commencé le jeu-vidéo à onze ans. A l’école, on avait les tous premiers ordinateurs de l’Éducation Nationale. Le prof de maths nous faisait faire de la programmation, c’était mes cours préférés. J’ai eu un ordinateur assez jeune chez moi. J’aimais bien jouer à des jeux. Mais comme il n’y en avait pas beaucoup à l’époque, j’aimais bien aussi en faire moi-même », affirme-t-il d’un ton détaché, comme si c’était quelque chose d’ordinaire. « Au bout d’un moment, c’est devenu un hobbie. J’ai mis plusieurs années avant de commencer à faire des choses intéressantes ». Né en Allemagne, Sebastian Wloch passe huit ans dans les Pyrénées ou il se passionne pour le Mountain Bike (vélo tout terrain en montagne) et le jeu vidéo.

Bercé par les shooters spatiaux à la R-Type, les jeux de combat comme Shadow of the Beast ou les jeux d’aventure comme la série des Maniac Mansion (dont il a recréé un clone tout seul avec son ordinateur et ses disquettes), il envoie son premier jeu créé en binôme à 16 ans à plusieurs éditeurs français. Il est crédité à la programmation, à la musique (dont il a joué pendant son enfance) et au design. « On a essayé de le vendre, de le distribuer mais ça n’a pas abouti. C’était un jeu de shoot, on nous disait qu’il y en avait déjà trop. On est allés à Paris quand j’avais 16 ans et on a été voir des studios qui n’existent plus aujourd’hui mais qui nous ont conseillé de faire un jeu de plateformes avec des personnages à pouvoirs. On s’est mis sur un prototype, le « Jeu de la boule », où une boule pouvait creuser, se balancer au bout d’un fil. C’était un peu limite. Je l’ai continué pendant un an. Après le bac, je suis parti faire des études de droit ».

Sebastian aime bien étudier. Mais uniquement ce qui l’intéresse. « Les études ne m’intéressaient pas du tout, je voulais juste ne pas faire l’armée…  J’ai toujours étudié, mais uniquement les choses qui étaient pertinentes pour ce qui m’intéressait. Le jeu vidéo est une innovation permanente. Je me suis rendu compte que j’apprenais dix fois mieux en faisant des jeux qu’en étudiant des trucs ». Le droit n’est qu’une manière pour lui d’apprendre quelque chose d’utile qu’il ne maîtrise pas déjà, plutôt que de s’engouffrer dans la programmation, son domaine de prédilection. Les écoles de programmeurs n’existent pas encore, ses choix sont limités. Il croit en son idée de « jeu de la boule » et envoie le prototype à plusieurs magazines spécialisés dont feû Gen4, mort en 2004. Cette « démo grandeur nature » se fait remarquer par Nicolas Gaume, PDG du studio Kalypso Entairtainement alors basé à Bordeaux depuis 1996. Il en change tout le design et créé « Fury of the Furries », un jeu de plateformes ou les héros sont des boules à super-pouvoirs. A 18 ans, Sebastian Wloch est embauché comme programmeur pour le studio et gravit les échelons jusqu’à la direction technique où il devient responsable de projets. 

Échec et victoire

Entre temps, Kalisto a mal vécu son entrée en bourse. Elle grandit trop vite, trop fort et se retrouve en grande difficulté financière au moment de l’explosion de la bulle internet. Les actions s’effondrent, la société est placée en liquidation judiciaire et ferme ses portes en 2002. En interne, Sebastian Wloch est conscient, comme tous les autres, que la situation n’est pas vraiment favorable. « En l’espace de deux ans, ils avaient découpé la boîte en pôles. J’allais de pôle en pôle. C’est avec l’équipe responsables des jeux de plate-forme cartoon qu’on a fondé Asobo Studios en 2002 ». Il analyse cet échec comme un pari de génération manqué. « C’était une entreprise qui était montée sur une génération, qui n’a pas réussi à se réinventer et a grossi trop vite. Quand on est passé de la 2D à la 3D, on était même un peu en avance. Mais la bulle internet a empêché de lever d’autres capitaux. S’il y avait eu moins de croissance rapide, ça aurait peut-être pu marcher. On était dans une phase d’industrialisation où il fallait produire toujours plus avec beaucoup de débutants. Mais ce n’était pas subi, ça a pris un certain temps ».

Quelques mois de chômage technique plus tard, l’idée de fonder un studio et de rebondir devient réalité. Tous les anciens de Kalisto se sont recasés ailleurs et forment un réseau idéal pour relancer la machine. Asobo a gardé l’identité un peu cartoonesque de ses fondateurs, et cet esprit audacieux que Sebastian a su cultiver. « Ce qui m’intéresse, c’est de faire des choses nouvelles, d’aller plus loin dans quelque chose. J’ai très peu de respect pour ce qui n’est pas dans le produit final. On ne vend ni des lignes de code, ni des pages de design, ni des heures de test. L’humain est très mauvais sur l’abstrait. Je préfère partir sans aucun plan à la guerre, regarder ce qui se passe. Mais je suis hyper prudent. Je trempe mon doigt de pied dans l’eau, je ressors et je fais des plans ». 

L’anti-corporate

Aujourd’hui, ce bidouilleur dans l’âme n’est plus programmeur qu’à mi-temps. Il est un des jokers de la boîte. « Il y a des choses que je suis le seul à savoir encore faire ou pour lesquelles je suis plus rapide. Quand il n’y a plus personne pour le faire, ça finit chez moi », affirme-t-il sans vraiment montrer d’orgueil. Il prends de moins en moins de temps pour ses passions extérieures, mais pratique toujours la course en montagne. « Il y a de l’organisation, de la planification, du mental et de la recherche de problèmes à résoudre dans ce genre de course ».

Asobo est un studio faiseur, mais son co-fondateur refuse de citer des modèles qui l’inspirent. « Il faut éviter d’utiliser des modèles. Une organisation ne marche pas sur tout le monde, si elle est figée, c’est un peu du nivellement par le bas. Je me dis que c’est dangereux de prendre une idée chez quelqu’un et de l’appliquer bêtement ». Se débrouiller tout seul, toujours, si bien qu’on l’imagine assez mal, sans doute à tort, manager l’équipe d’une centaine de personnes qui compose aujourd’hui le studio. « L’entreprise, c’est la pire invention de l’Humanité, ça prend tellement de temps », glisse-t-il avec ironie. A tel point qu’on reste certains que s’il avait pu gagner sa vie et la passer à bidouiller des jeux tout seul, dans son coin, il l’aurait probablement fait. Mais on sait tous que ce n’est pas vraiment comme ça que ça marche. 

 

Sebastian Wloch, l’autodidacte from Aquipresse on Vimeo.

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