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Le triomphe de «Coda» aux Oscars - Philippe Rousselet: «Sur scène, c’était magique»

Pour le producteur français Philippe Rousselet, « c’est un cadeau de la vie, l’aboutissement d’une aventure de dix ans ».
Pour le producteur français Philippe Rousselet, « c’est un cadeau de la vie, l’aboutissement d’une aventure de dix ans ». © Agence / Bestimage
De notre envoyé spécial à Los Angeles Olivier O'Mahony , Mis à jour le

Depuis que « Coda », l’adaptation américaine de « La famille Bélier », a triomphé avec trois Oscars, Philippe Rousselet ne lâche plus sa statuette

La beigne de Will Smith n’est pas parvenue à lui gâcher la fête. « Sur le moment, je n’ai pas bien saisi ce qui s’était passé. Au départ, on a tous pensé que c’était un coup monté, puis on a compris. Ça a jeté un froid. C’est dommage car c’était une très belle soirée, très joyeuse. Mais le show a vite repris le dessus. Quand je suis monté sur scène, c’était magique. » Toute la soirée, Philippe Rousselet l’a passée avec sa statuette à la main. « C’est lourd, mais je n’ai pas voulu la lâcher », nous dit-il en nous la faisant soupeser : estimation… 5 kilos. « J’ai encore du mal à y croire ! »

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Tout n’a pas été simple dans la vie du fils d’André Rousselet, fondateur de Canal+ , décédé en 2016. « S’il avait été là, il aurait été content et soulagé pour son fils, nous dit-il. Car je viens de très, très loin… J’ai fait toutes les bêtises imaginables, au début de ma carrière, tant par manque d’expérience que par enthousiasme. »

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Philippe Rousselet, 53 ans, grandit à Neuilly-sur-Seine, dans un bel appartement, à l’ombre de François Mitterrand dont son père est un intime. Ce dernier a été son directeur de cabinet à l’Élysée, en 1982, après avoir été son chef de cabinet adjoint au ministère de l’Intérieur, sous Pierre Mendès France, en 1954… Enfant, il est un des rares à connaître l’existence de Mazarine, mais il n’est évidemment pas question d’en parler à qui que ce soit. « Le secret est une valeur importante dans ma famille, sourit-il avec pudeur. C’est toujours le cas. » Les vedettes de la télé, du cinéma et de la politique défilent à la maison, mais il lui en faudrait davantage pour prendre la grosse tête : chez les Rousselet, on a l’élégance discrète.

Élève dissipé à l’école, il ne décroche même pas son bac (« à ne pas répéter à mes enfants », dit-il) tandis que son frère, Nicolas, entré à HEC, prendra les rênes de l’entreprise familiale, la société de taxis G7. Philippe passe plus de temps dans les salles de cinéma, sa grande passion, que dans les salles de classe. Dès l’âge de 14 ans, il sait qu’il veut devenir producteur, car il comprend très tôt que le métier d’acteur n’est pas pour lui. « J’ai commencé dans le métier grâce à Terry Semel, le patron de la Warner, qui ne m’en a pas voulu d’avoir gagné un match de tennis contre lui, dans le Midi, et m’a proposé de le rejoindre pour faire un stage. » À 21 ans, Philippe met le cap sur les États-Unis. Il travaille pendant cinq ans dans un studio américain puis crée sa propre société de production.

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Mais il a un problème : c’est un gentil. Il aime les belles histoires humaines et familiales. Philippe Rousselet a la voix douce et la poignée de main courtoise. Il n’a pas la tchatche d’un Harvey Weinstein. C’est un garçon trop bien élevé pour ce milieu de tueurs. Aux États-Unis, c’est jugé presque suspect. « Beaucoup de gens ont mis du temps à croire en moi », constate-t-il. Son carnet d’adresses et sa fougue compensent. Il prend tous les risques. En 2005, il produit « Lord of War », avec Nicolas Cage. Le budget de départ est de 25 millions de dollars. « Je n’en menais pas large, raconte-t-il aujourd’hui. C’était de l’inconscience ! J’aurais dû, d’emblée, me dire que ce film allait coûter 55 millions. En même temps, c’est quand on connaît les risques qu’on finit par ne plus en prendre… » Heureusement, le box-office explose. C’est son premier gros succès américain.

Pour célébrer ses trois récompenses – meilleur film, meilleur scénario adapté, meilleur second rôle masculin –, l’équipe de «Coda » dit « I love you » en langue des signes américaine. De g. à dr., avec leur Oscar, Patrick Wachsberger, l’un des coproducteurs, la réalisatrice Sian Heder, Troy Kotsur (meilleur second rôle masculin), Philippe Rousselet et Fabrice Gianfermi (coproducteurs). En robe rouge, la blonde Marlee Matlin, oscarisée en 1987.
Pour célébrer ses trois récompenses – meilleur film, meilleur scénario adapté, meilleur second rôle masculin –, l’équipe de «Coda » dit « I love you » en langue des signes américaine. De g. à dr., avec leur Oscar, Patrick Wachsberger, l’un des coproducteurs, la réalisatrice Sian Heder, Troy Kotsur (meilleur second rôle masculin), Philippe Rousselet et Fabrice Gianfermi (coproducteurs). En robe rouge, la blonde Marlee Matlin, oscarisée en 1987. © AMPAS via Grosby / Bestimage

En 2012, il s’associe avec une petite société de production française qui a dans ses cartons un projet original, l’histoire d’une famille de sourds-muets, les Bélier. Le film va pulvériser les entrées en France et son héroïne, Louane Emera, décrocher en 2015 le César du meilleur espoir féminin. Les propositions d’adaptation à l’étranger affluent après ce succès, mais Philippe Rousselet préfère produire lui-même le remake en langue anglaise, « pour ne pas abîmer cette jolie histoire ». Avec ses associés, Patrick Wachsberger et Fabrice Gianfermi, il se met en chasse d’un scénario. Sian Heder, réalisatrice américaine née près de Boston, qui a été elle aussi récompensée d’un Oscar dimanche dernier, lui propose un projet très personnel qui le séduit. Elle situe l’action dans la communauté des pêcheurs du Massachusetts, où elle a grandi et passé toutes ses vacances. Cette fois, il s’agit de faire tourner des acteurs sourds. Un gros risque : ce choix oblige ces nombreux sous-titrages qui rebutent le public.

Pour attirer celui-ci, on décide de prendre une grosse pointure de Hollywood ; mais, lors de l’audition, c’est un inconnu qui impressionne : Troy Kotsur. Lui, c’est un personnage. Né en banlieue de Phoenix, dans l’Arizona, qu’il n’a jamais quitté, il a réussi à se lancer dans le cinéma dans les années 1980 malgré l’opposition de ses parents, persuadés que Hollywood n’était pas prêt à accepter des acteurs de sa condition (ils n’avaient pas forcément tort). « Troy a été une évidence pour le film. En tant que pêcheur, il était bluffant. Il est d’un charisme rafraîchissant, rien n’est calculé chez lui et ça fait du bien. Sa gestuelle est très visuelle. Dans la scène où il explique à sa fille et son petit ami qu’ils doivent utiliser une capote, il n’y a pas besoin de dialogues, ça fonctionne très bien avec les signes. Troy est ma plus grande fierté : sur le tournage, je rêvais secrètement d’un Oscar pour lui. Le fait qu’il l’ait décroché est extraordinaire. Il est une star ! »

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Les gens d’Apple ont fait un travail de terrain formidable

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Commence un tournage de six semaines, que les contraintes linguistiques rendent difficile. Emilia Jones, l’actrice principale, qui n’est pas sourde, passe huit mois à apprendre la langue des signes tout en enchaînant les cours de chant. Un travail colossal. Le budget est serré – 15 millions de dollars, ce qui est beaucoup pour un film indépendant américain mais reste très inférieur à celui de ses rivaux aux Oscars. Le Covid complique tout. La postproduction devait avoir lieu au Canada, mais les frontières se ferment, il faut tout rapatrier à Los Angeles. En juin 2020, le film est finalement monté et prêt à sortir, mais il doit encore être vendu à l’étranger, notamment... aux États-Unis ! Or les salles de cinéma sont fermées. On va le « mettre sur une étagère » pendant six mois, le temps qu’il soit présenté au festival de Sundance, spécialisé dans les films indépendants, en espérant que ses organisateurs veuillent bien le sélectionner. Heureusement, les big boss d’Apple TV lisent le scénario et, sans même voir le résultat final sur grand écran, en achètent les droits de distribution. Ils mettent 25 millions de dollars sur la table.

À Sundance, « Coda » fait l’objet d’une « bidding war » (enchère) avec les deux grandes plateformes de streaming, Amazon et Netflix, qui proposent à peu près le même montant. « C’était le choix du roi », sourit aujourd’hui Philippe Rousselet. Il explique avoir choisi Apple « car, dans le domaine du cinéma, c’est une start-up; on savait que, pour eux, “Coda” ne serait pas simplement un film de plus ». Passionné, Tim Cook, le P-DG de la marque à la pomme, estime même qu’il est essentiel à l’image qu’il veut développer à Hollywood. Célébré au festival de Sundance, « Coda » est lancé sur la plateforme de streaming le 13 août 2021. Comme pour « La famille Bélier », le bouche-à-oreille fonctionne. « Les gens d’Apple ont fait un travail de terrain formidable, relève Philippe Rousselet. Ils ont multiplié les avant-premières, les panels et les interviews de presse, en restant extrêmement fidèles à l’esprit du film. Une véritable campagne présidentielle de six mois ! Là où, pour la promotion active, les studios se contentent de quelques semaines. »

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Mon père ne me donnait jamais de conseils mais, dans les périodes difficiles, il était toujours là et me disait : “Fonce !” 

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Par superstition, Philippe Rousselet campe pendant trois semaines au Beverly Hills Hotel, où il a de bons souvenirs professionnels du temps où il apprenait le métier avec Terry Semel. Un choix judicieux : impossible d’y faire un pas sans croiser une star. Lors de notre interview, le lendemain de la cérémonie qui avait vu « Coda » décrocher trois Oscars – meilleur film, meilleur scénario adapté, meilleur second rôle masculin –, l’acteur Andrew Garfield, nommé la veille mais malheureux, admirait avec un brin d’envie la statuette que Philippe ne lâchait plus. Philippe Rousselet n’avait dormi que trois heures.

Jusqu’à 5 heures du matin, il avait dansé à la fête donnée par Beyoncé et Jay-Z. Mais il était assez réveillé pour voir le réalisateur John Landis (« Les Blues Brothers », entre autres) venir lui serrer la main et le féliciter. C’est dans la dernière ligne droite, au terme d’un marathon épuisant, que le producteur est parvenu à damer le pion à Jane Campion, la réalisatrice de « Power of Dog », initialement donné gagnant pour l’Oscar du meilleur film. Il a alors fallu se soumettre au protocole drastique imposé par l’Académie des Oscars face au Covid : deux tests par jour… « Jusqu’à l’inversion de tendance, il y a une dizaine de jours, j’étais dans la position très confortable du challenger, mais alors on a commencé à se dire : “Cet Oscar, il faut qu’on se le gagne, sinon on va nous traiter de losers !” »

Même s’il se dit surpris, et au-delà, et même s’il avoue ne pas encore y croire tout à fait, Philippe Rousselet avait fait venir ses quatre enfants, de 17 à 28 ans, pour le jour J. Un clin d’œil au passé. À ce père qui n’avait jamais fait peser sur ses épaules le poids de la filiation, mais qui lui avait transmis le goût du risque et de l’entrepreneuriat. « Il ne me donnait jamais de conseils mais, dans les périodes difficiles, il était toujours là et me disait : “Fonce !” En 1993, il m’avait demandé de l’accompagner à New York où il recevait un Emmy Award. Presque trente ans plus tard, je fais pareil avec mes propres enfants. Dans les deux cas, ça restera un souvenir magique. » 

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